Il était une fois un petit bout d'homme qui a pensé écrire ce qu'il a vécu durant sa vie.
Des moments réjouissants mais aussi parfois, comme tout être, des passages moins heureux.
Ce récit je l'ai commencé ce lundi 12 avril 2010, il est destiné à mon épouse, mes enfants Didier et Véro, Daniel, Dominique et Murielle, Christian et Myriam et mes petits-enfants Manon, Julie, Simon, Mathieu, Delphine, Thomas, Louis et Alex.
Si j'écris ce récit, c'est parce que mes enfants m'ont incité à rédiger ces mémoires. Mais dans toutes ces anecdotes et au fur et à mesure qu'elles me reviennent à l'esprit, j'ai aussi l'impression que mieux que de parler de certains souvenirs, le fait de les écrire me permettent d'aborder quelques-uns de ceux-ci avec plus de sérénité; en fait peut-être comme d'autres personnes, certains de ces souvenirs ont souvent perturbé mon esprit, que ce soit le manque d'amour dès mon enfance et souvent l'impossibilité de me réaliser telle que j'en ressentais le besoin. Bien sûr, la famille nombreuse a joué un rôle important; mais n'explique pas pour autant le tout.
Dans ce récit, j'émets aussi parfois des souvenirs qui aujourd'hui ne sont plus d'actualité, mais qui à l'époque étaient réels et donc ont fait partie de sujets qui racontent des vrais souvenirs très spéciaux pour le jour d'aujourd'hui. Ils ne sont bien entendu pas tous des récits faramineux, mais ils ont fait partie et tissé ma vie vécue au jour le jour.
Afin de bien commencer, il est peut-être bon de savoir d'où nous venons: la généalogie accessible par le lien qui suit nous fait remonter dans le temps. Beaucoup de ces informations ont été collectées par mon frère Julien et peuvent maintenant être consultées sur internet. De toute manière, lorsque j'ai un souci, mon Didier répond toujours à mon appel.
Voici ce que nous pouvons dire aujourd'hui :
Suivant les infos de mes aînés, je suis né un samedi précédent la procession de la Fête-Dieu. C'était le 17 juin 1933.
Cette première partie de mon histoire est ici consacrée à mes premiers souvenirs d'enfance.
J'avais probablement lors de ce premier souvenir, à peu près 3 ou 4 ans. Je suis en gardienne chez Melle Pirard, à l'Institut Notre Dame, devenu l'école St Fiacre. J'ai sûrement parlé en classe et pour me punir l'institutrice m'a attaché au cou en forme de bavoir, une langue rouge vue par tous les élèves de l'école; et avec ce fameux bavoir je dois rentrer à midi chez mes parents qui doivent me punir pour mon indiscipline. De cette remontrance reçue par mes parents, je ne m'en souviens pas.
Une autre fois je me rappelle que nous répétions sur la scène pour la distribution des prix de fin d'année. Les trois gardiennes sont sur la scène et cela fait un fameux monde sur cette estrade qui n'est pas très grande. Une toile de fond et quatre panneaux à gauche et à droite représentent des arbres et donnent à l'ensemble un aspect de forêt. Les institutrices nous donnent à chacun notre place marquée par une craie au sol, puis l'on nous fait chanter et voilà que mon voisin me bouscule et me pousse, je perds l'équilibre et cogne un des décors représentant un arbre. Et vlan, voilà le panneau en déséquilibre qui bascule sur une des surveillantes. Comme ce pauvre Caliméro, c'est moi qui suis puni et privé de me trouver sur la scène le jour de l'exécution. Pour finir, mon institutrice l'a sûrement oublié.
Durant les vacances scolaires, je suis la plupart du temps chez mes grands-parents à Bonvoisin.
Mon père possède une auto, c'est une Minerva, (la carrosserie ressemble un peu à la photo n° 1 page 25 du livre Mémoire de Dison) elle est garée dans le garage Lemaire situé place Luc Hommel presqu'au coin de la rue de la Régence. Il est encore aujourd'hui en service. Les époux Lemaire cités plus haut tenaient à cette époque un magasin de fruits et légumes rue Albert I +/- à peu près à l'endroit de la boucherie Seffer. (photo n° 2 page 21 et photo n° 2 page 92 du livre Mémoire de Dison).
Avant cette voiture, mon père avait une moto et avait placé un caisson métallique sur la roue arrière et dans celui-ci, il plaçait les pains qu'il portait à domicile.
Avec mon père, lorsque je rentre de l'école gardienne, je vais avec lui en voiture, porter les pains à ses clients. Le chemin parcouru, je l'ai oublié. Un seul souvenir est resté dans ma mémoire : dans la rue des Meuniers, au bas des escaliers et de l'entrée des appartements menant chez Daniel, je suis assis devant sur le siège, mon père est parti servir un client habitant la ferme dans la prairie et moi je suis seul dans cette voiture arrêtée juste devant la gueule d'un cheval qui lui aussi est en stationnement. Je suis heureux lorsque mon paternel rentre dans la voiture car j'avais peur.
Les souvenirs de vacances de mon enfance sont presque tous relatifs à mes séjours du lundi au samedi passés chez mes grands-parents à Bonvoisin. Ma grand-maman a beaucoup de rhumatisme et pour cette raison s'occupe peu des travaux de la ferme. A cette époque, il n'existe pas de bonbonnes de gaz, c'est pour cette raison, qu'été comme hiver la cuisinière fonctionne tous les jours; et tous les matins, elle doit rallumer le feu. Ce feu, permet ainsi d'avoir de l'eau chaude à tout moment.
Un autre souvenir et non des moindres pour aujourd'hui en 2011, période où l'électricité a complètement envahi notre quotidien : car qui donc aujourd'hui, même chez les jeunes ne possède pas sa boîte e-mail, son GSM et même Internet. Mais voilà, ce récit concerne les années avant 1940.
Et la ferme des grands-parents est encore sans électricité. L'écrèmeuse et le tonneau pour fabriquer le beurre (baratte) sont encore actionnés manuellement à l'aide d'une manivelle. Seul un ou deux quinquets dans le ménage et des lampes à pétrole dans les étables servent à éclairer les va-et-viens durant les longues soirées d'hiver. Les soirées se passent aussi éclairées par une ou deux bougies. Mon souvenir le plus spécial est pour ces soirées lorsque le noir a obscurci la terre; la montée au premier étage pour rejoindre mon lit : c'est alors ma grand-mère qui dans les escaliers monte derrière moi et tient cette lampe artificielle qui provoque néanmoins des grandes ombres sur tous les murs : c'est à la limite hallucinant, pour ne pas dire : effrayant.
La ferme de mes grands-parents sera raccordée au réseau en fin d'année 1937.
Le matin et le soir, après la traite des vaches, le lait est versé dans l'écrèmeuse, qui a pour effet de séparer la crème du lait. Cette crème est alors récoltée dans une cuve et descendue en cave. Au bout de deux semaines, cette crème est versée dans une baratte : c'est un tonneau qui tourne de bas en haut pour solidifier la crème et ainsi obtenir du beurre. Le résidu récolté par cette opération (du babeurre) servira à fabriquer une maquée appelée bourri. Ceci est une maquée blanche grainée.
Le lait écrèmé est donné en partie aux jeunes veaux et le reste va être mélangé à de la farine et servira de nourriture aux 25 porcs. Ceux-ci crient (comme des cochons, c'est le cas de le dire) dès qu'ils entendent remuer leur préparation. Au bout de plusieurs semaines, un marchand vient embarquer ces cochons qui sont maintenant gras et bons pour l'abattoir. Ils seront remplacés par une nouvelle colonie de jeunes porcelets. Un coq et une trentaine de poules font partie de la ferme : de temps en temps un client vient en acheter une : la tête est alors coupée sur le champ par mon grand-père, puis plumée et servie toute fraîche au demandeur.
Dans la prairie devant la ferme, il y a aussi une vingtaine d'arbres fruitiers. Régulièrement, je vais avec l'un ou l'autre ramasser les fruits avant que les vaches ne les mangent. Ils sont triés, les abîmés passeront à la casserole pour compote. Les autres seront vendus. Ma grand-mère fait aussi des maquées avec du lait et de la présure. Tous ces produits seront emportés par mon grand-père qui le mercredi descend à pied en ville avec un grand panier au bras. Beurre, maquée, œufs et fruits sont alors vendus à leurs différents clients.
Un pauvre homme nommé Laurent Dernier habite au Trou du Horez (c'est le nom de l'endroit au bout des prés du côté de Houlteau). Il est sale, mal rasé et ses vêtements sont en loques; il vient de temps en temps pour étendre les bouses dans les prairies ou donner un coup de main. Ce coup de main sera surtout nécessaire durant les années 40-45, lorsque l'oncle Arnold sera prisonnier de guerre. Il obtient ainsi une petite obole ce qui lui permet de subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Personne n'a jamais pénétré chez lui mais j'imagine qu'il faisait dégoûtant. Mes grands-parents lui accordaient sans lui faire sentir, un petit plus dans son quotidien.
En été, lors des orages, tout le monde rentre au logis; depuis que l'électricité est dans la maison, le disjoncteur est coupé et l'on allume un cierge pour être protégé de la foudre. Ceci n'est pas pour me rassurer; il est vrai que parfois la foudre tombe sur un des arbres dans la prairie. Tombée sur la maison, elle pourrait mettre le feu au foin de la grange. Ce serait alors un désastre.
Les soirs d'été, lorsque le soleil descend à l'horizon et que la pénombre se profile, ma grand-mère s'assied avec moi sur le seuil et me raconte une petite histoire. J'aimais ma grand-maman, et elle m'aimait aussi. C''tait une personne très douce. Plus tard, j'ai réalisé chez elle qu'elle me procurait de l'amour qui dans mon milieu familial était pour ainsi dire inconnu, probablement dû à la constitution du ménage avec deux belles-sœurs et aussi le nombre d'enfants à gérer. Dans ce calme du soir, nous entendons coasser crapauds et grenouilles dans le fossé qui se situe à l'entrèe de la maison.. Parfois, un hibou ou une chouette lance son hululement dans un des arbres fruitiers de cette campagne qui bientôt va se mettre en léthargie.
Je dispose d'un petit chariot et lorsque les fruits de l'aubépine sont mûrs, je sillonne les haies pour récolter les petits fruits rouges. Je suppose que par la suite, ce chariot est vidé dans la fosse. Lorsque mon oncle Arnold taille les haies, je suis avec lui et muni d'une petite fourche, je mets les déchets en tas. Comme tout gosse, j'adore voir brûler ces brindilles. Avec lui aussi je ressens beaucoup de complicité; elle durera d'ailleurs toujours jusqu'à sa mort.
La fenaison se fait avec quelques personnes en renfort et le cheval Bichette de la ferme voisine. C'est aussi ce cheval qui va chercher avec un tonneau, de l'eau près de l'avenue du Foyer lorsque le fossé est à sec par manque de pluie. Et pourtant sur le côté devant la maison, il y a un puits entouré de quatre murs et d'un toit. Un seau attaché à une chaîne coulissant sur une roue dentée permet d'obtenir de l'eau potable bien fraîche réservée aux besoins ménagers. Il est plus que probable que le puits serait asséché si son eau servait à abreuver le cheptel. Ce cheptel est composé d'une dizaine de vaches, une ou deux génisses et trois ou quatre petits veaux.
Aujourd'hui, en 2010, toutes ces petites fermes ont disparu. Elles sont remplacées par des fermes ayant au minimum 70 à 80 vaches. La plupart des travaux sont automatisés et des tracteurs immenses avec des machines agricoles ont remplacé les chevaux qui tournaient comme ils pouvaient mais moins rapidement dans les campagnes.
Chez mes grands-parents : pas de cheval, dans les prairies, les abreuvoirs sont alors alimentés par mon grand-père qui avec un porte-seau sur les épaules porte à plus de 25 mètres l'eau que vont boire les vaches. Chacune va boire plus de 5 seaux par jour. La traite se fait aussi à la main. En hiver, dans l'étable, pas de grille qui récolte le fumier. Deux fois par jour, ces déchets sont brossés dans une rigole derrière les bêtes, puis avec une brouette, sont versés sur un tas dans la fosse. C'est au printemps que cet ensemble est chargé manuellement dans un tombereau et conduit avec le cheval du voisin, par petits tas dans les prairies. Puis encore manuellement répartis dans les champs. Le travail est donc différent d'aujourd'hui; il nécessite pas mal de main d'œuvre et explique la petite dimension de la plupart des fermes de cette époque.
L'évocation de cette époque semble peut-être bizarre, mais je pense qu'aujourd'hui, il est difficile de réaliser le travail manuel que devait effectuer un petit fermier dont c'était le cas de mes grands-parents.
Nous sommes le jour du nouvel an en 1938-1939. L'après-midi se passe comme chaque année à la ferme de Bonvoisin chez les grands-parents. Les plus jeunes dont je fais partie ont le droit d'y aller en auto. Au goûter nous mangeons de la tarte maison et des gaufres faites par notre grand-mère. Dans la soirée, St Nicolas ouvre légèrement la porte de la cuisine et lance des noisettes, des noix et des marrons pour nous les enfants sages. Nous n'y voyons que du feu, mais le plaisir de ma grand-mère est à son comble.
Après le souper, nous allons rentrer à la maison mais le temps est détestable et froid; il pleut et l'eau se transforme immédiatement en glace. La voiture, malgré les poussèes des grands frères, de grand-père et d'oncle Arnold ne parvient pas à remonter le bout de chemin vers la ferme Van-Reye. Je me rappelle, je n'étais pas rassuré. Finalement, mon père est redescendu avec la voiture jusqu'à la ferme, a fait demi-tour et nous sommes retournés à la boulangerie par la rue du Corbeau.
Je me rappelle qu'une semaine, Alice, Renée et moi avions la rougeole. Le médecin de famille, le docteur Dubois, avait bien recommandé de ne pas nous séparer afin que nous contractions bien ensemble et pour la même période cette satanée maladie. Nous dormions alors dans la cuisine et salle à manger au premier étage sur des chaises avec coussins et couvertures.
Avec Alice et Renée, un jeu qui semblait nous passionner était de jouer au curé. Avec des draps de lits, on nous avait fabriqué des vêtements de prêtre. Nous garnissions la table de la cuisine avec des fleurs artificielles et des bougies que nous ne pouvions jamais allumer... évidement; et ensuite avec le plus grand respect, je célébrais la messe. Sachez que j'étais acolyte, allais à la messe et au salut tous les jours. De ce fait, je connaissais presque tout le cérémonial et la plupart des paroles par cœur. Alice et Renée participaient à l'office soit disant dit divin. Et le plus sérieusement du monde, je distribuais la communion avec de vraies hosties, non consacrées bien sûr, mais avec beaucoup de ferveur, et de ma part et des fidèles présents. Il faut aussi savoir que nos jeux étaient très limités. Jamais de sorties chez des amis. Aujourd'hui, cela semblerait totalement loufoque. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, dès que nous avions des vacances scolaires, mon seul but était de filer à la ferme des grands-parents.
Si nous sortions parfois, c'était le dimanche après-midi avec ma marraine, nous faisions un tour en montant par la rue de Station, l'avenue Jardin Ecole et nous redescendions par la rue du Husquet. Une autre mais plus rare, consistait à prendre la rue des Meuniers, puis les escaliers près de l'entrée de chez Daniel, nous montions alors vers le bas d'Andrimont jusqu'à la chapelle Ste Thérèse à Ottomont, puis nous redescendions par le même chemin.
C'est aussi le souvenir d'une activité disparue après la guerre : des hommes, mais aussi des femmes circulaient en rue soit à pied ou en poussant une petite charrette à bras, avec parfois un chien lié à l'attelage pour aider le préposé : ils se déplaçaient en criant : des cliquotes. Ce mot, probablement dérivé du français vers le wallon soit clique ou cliquetis, était l'appel au passage pour récolter les vieux tissus, les loques et toutes les matières devenues non utilisables. Celles-ci étaient alors, par ces marchands revendues au poids à qui ? Je n'en sais trop rien.
Il existait aussi des marchands ambulants avec aussi, un petit attelage comme décrit ci-dessus et qui vendaient soit des légumes soit des poissons frais. Ces derniers criaient à la cantonade : Poissons Meuse, poissons frais. Un autre genre de commerce circulant avec le même attelage était le rémouleur : Il aiguisait les couteaux, les ciseaux et tous les objets tranchants. D'autres circulaient avec des branches d'osiers et réparaient les paniers et mannes fabriquées avec cette matière.
Un autre commerce disparu après la guerre, était une entreprise située rue des Fabriques à Verviers qui fabriquait des blocs de glace d'une dimension de +/- 60 x 20 x 20 cm. Ces blocs étaient fournis deux fois par semaine aux bouchers qui à cette époque ne possédaient pas de frigos. Après la guerre, le marchand de crème glacée revenu avec sa charrette près de l'aubette et de la place du Marché avait lui aussi son caisson rempli de ces fameux blocs.
Tous ces métiers ambulants ont aujourd'hui disparu. La fin de la guerre a sonné le glas de ces métiers. Pourquoi ? Probablement que la conjoncture à cette époque de fin de guerre procurait du travail à beaucoup de personnes. Les industries reprenaient et le plein emploi était revenu avec des salaires plus attractifs. Ceci expliquant cela. Mais, j'ai voulu ne pas omettre ces activités semblant venir aujourd'hui d'un autre siècle.
Nous sommes maintenant revenus de l'évacuation à Xhendelesse. Mon frère Albert naît le 23 juin 1940. Le seul souvenir dont je me rappelle est l'accoucheuse Mme Henri, personne très forte et d'un certain âge. Je me souviens aussi de cette odeur de médicaments dont tout le premier étage est enveloppé. A cette époque, la plupart des accouchements étaient réalisés par des accoucheuses à domicile. Agé de 7 ans, je ne me souviens que d'une chose: il est durant les premiers mois dans la chambre à coucher de mes parents dans un grand panier d'osier.
Quelques mois plus tard, mon frère Albert a plus ou moins trois mois. Je suis seul dans la salle de séjour, je place une chaise devant le berceau en osier placé sur une table : il est vide et je me couche dans celui-ci. Comble de malheur, ma tante Léonie (ma marraine) entre dans la chambre avec un des vicaires, l'abbé Prume. Trop tard pour redescendre et voici notre vicaire de s'écrier "Et alors Paul, on retourne en enfance ?".
A Dison, il y a deux dimanches de procession, le dimanche de la Fête-Dieu et le quatrième dimanche du mois d' août qui est la fête de St Fiacre. A voir 3 photos page 38 du livre Mémoire en images de Dison. A cette occasion, toutes les rues où passe cet événement sont garnies. Beaucoup d'habitants placent aux fenêtres soit un crucifix, une Vierge ou une statue de saint, des fleurs et des bougies. Les rues sont garnies avec des drapeaux, des oriflammes tendus entre les maisons comme les guirlandes de Noël, et des guirlandes de branches de sapins avec des fleurs de papier crépé.
Au 103 de la rue Albert 1, la porte du magasin est ouverte, un tapis de laine garni les trois marches; sur une petite table, une Vierge de +/- 80 cm, des bougeoirs et des fleurs ornent l'entrée et les trois marches. Ce dimanche nous devons aller à l'école, je suis en gardienne, nous sommes en juin 1939. Pendant les années de guerre 1940-1945 il n'y aura plus de procession. A L'école, l'on nous met des ailes d'ange dans le dos et nous avons un petit panier avec des pétales de fleurs et des petits papiers de couleur pour jeter durant la procession. Sur la trajectoire, il y a trois ou quatre reposoirs. A ces endroits est érigé un autel, la procession s'y arrête, la fanfare et la chorale chantent un Tantum Ergo suivi d'une bénédiction agrémentée par des pétards. Au retour à l'église même scénario mais avec pétards plus nombreux et plus conséquents qui sont allumés sur la place du Sablon...
Après la procession, les grands-parents Martiny, des oncles et tantes de Battice, Guillaume et Catherine, Olivier et Guillemine sont invités à midi. A cette occasion, nous avons droit à un verre de bière de table Piedbœuf et une ration de crème pâtissière.
Durant les vacances passées chez mes grands-parents à Bonvoisin, ma sœur Lucie fait quelquefois la tentative de rester avec moi, mais le soir du premier jour, c'est en pleurs qu'elle retourne avec mon père venu en auto apporter le pain, il vient trois fois la semaine. Pour ma part, je suis très heureux d'être à la campagne; le matin, contrairement à Dison : le soleil illumine la chambre, j'entends le chant du coq, les vaches qui beuglent, les cruches et les seaux de lait que l'on remue. Pour moi c'est très agréable.
Souvent après les travaux du soir, mon oncle me prend sur son vélo et nous allons voir ses amis, c'est souvent chez Wintgens, une ferme voisine où plusieurs enfants de son âge vivent là : chaque fois, je reçois une chique ou un bonbon. Je me rappelle aussi avoir été un dimanche à la fête à Chaineux, il m'a conduit à un match de foot puis sur un carrousel. Ceux-ci sont de petits manéges et n'ont rien à voir avec ceux que nous connaissons aujourd'hui. Les fêtes foraines ont d'ailleurs diminué fortement. Ce jour-là, il y avait beaucoup de vent et le toit d'un des carrousels s'est détaché et tombé dans une prairie derrière la place du village.
Un jour j'ai vu qu'il y avait un nouveau petit veau, c'est une femelle, elle se remue beaucoup et mon grand-papa me donne le pouvoir de lui donner un prénom, sans trop réfléchir je l'ai appelé: GAMINE; je me souviens aujourd'hui de quelques autres prénoms de vaches : bella, mouton, florine et chopem, cette dernière, je suis allé en vélo avec mon oncle l'acheter à Chopem un petit village près de Waimes.
A propos de cette vache, je me souviens qu'elle était très paisible et parfois, à l'abri des regards je la trayais à terre dans la prairie; mais lorsqu'à 17 h venait le moment de la traite de toutes les vaches, notre chopem perturbée par une traite anormale donnait beaucoup moins de lait, alors ma grand-maman m'appelait et me disait: " Il me semble qu'un petit garçon a encore trait notre gentille vache ".
Mon oncle Arnold, frère de ma maman a été mobilisé à cause des bruits de guerre, il m'a un jour envoyé une carte postale représentant un soldat à cheval et qui disait: " Je sens que je suis né pour être général ".
Je me rappelle aussi quand les allemands ont envahi la Pologne en septembre 1939, ce jour-là mon oncle est en congé pour aider ses parents à la ferme. Il reçoit un ordre de rejoindre immédiatement la caserne. Ce jour j'ai vu ma grand-maman pleurer.
Nous sommes alors début septembre 1939 et c'est le moment de la rentrée des classes, je rentre donc en 1 ère année avec comme instituteur le Frère Antoine originaire de Tommen près de St Vith. Etant donné que l'Allemagne se fait de plus en plus menaçante; le Frère Antoine doit lui aussi rejoindre l'armée. Ce sera le début d'une suite d'instituteurs: Alphonse Delincé puis Yvan Grignard et puis la guerre éclate le 10 mai 1940 et durant quelques semaines l'école est en incapacité de fonctionner. Ce sera le début d'une longue suite d'arrêts de l'école suite à différentes perturbations inhérentes à cette guerre qui ne fait que commencer et dont les inconvénients iront en s'accentuant. Mais à ce moment étant donné mon âge, je suis dans l'impossibilité d'en mesurer l'impact qu'elle va générer.
Ce qui est bizarre, ce sont le peu de souvenirs dont je me rappelle de la boulangerie et de ma vie durant ses sept premières années de mon enfance. Il en est pourtant un : chaque jour au goûter, nous devions manger une tartine de maquée salée et une de sirop.
S'il y avait de la neige, au départ nous ne disposions pas de traîneau; mais ne pouvions pas non plus aller avec d'autres condisciples pour nous ébattre dans la neige. Une fois pourtant, mais en invoquant une autre raison, je suis allé avec un ami de classe, Jacques Hendricks jouer et faire du traîneau dans la rue du Husquet et cela jusqu'à ce qu'un policier du nom de Monsieur Lange, garde-champêtre vienne mettre fin à nos ébats. Ce sont les habitants de la rue qui se sont plaints parce que plus nous allions glisser, et plus la rue et les trottoirs devenaient impraticables pour les pétons.
La seule activité régulière que j'exerce est ma présence en temps qu'acolyte où je sers tous les jours, la messe de 7 heures 30 et le salut du soir à 18 heures. Ma participation journalière me permet de connaître par cœur tous les chants et prières qu'elles soient en latin ou en français. A part l'exercice de mémoire, ceci ne me sert à rien.
Les trois jours précédant l'Ascension, ont lieu les rogations; c'est une procession avec un circuit différent pour chaque jour qui sort en ville le matin après la messe de 6 h. Cette coutume remonte au Cinquième siècle et a pour but d'attirer la bénédiction sur les récoltes et les animaux. Je suis aussi de cette sortie qui aujourd'hui a totalement disparu.
Le soir après le salut journalier du mois de juin, les fidèles montent en priant par le jardin du presbytère vers le monument du Sacré-cœur; j'y vais également. Un de ces jours-là, je remarque que le parc du monument était infesté de hannetons; nous décidons, avec ma sœur Lucie, de nous y rendre. Muni d'une boîte à chaussures, nous montons et revenons avec une trentaine de ces coléoptères pour lesquels nous avons aussi rempli de feuilles leur nouvelle demeure. Malheureusement, notre doyen Michel nous ayant aperçu a tôt fait de prévenir nos parents; d'où une remontrance et l'obligation de liquider note butin
Ceci est la fin de mes souvenirs d'enfance.