Site de Pierre PLUNUS (17/06/1928-06/11/2016)
Drame - Neuville - 1944
Le drame de la Neuville à Andrimont le 8 septembre 1944
Les lignes qui suivent ne sont pas le récit d'un témoignage oculaire personnel. Elles ne sont que l'essentiel de ce qui m'a été rapporté par quelqu'un qui semblait bien au courant des faits.
C'est sur le conseil de Mr Didier Thonnard que j'ai écrit ce petit texte pour essayer de sauver de l'oubli une tragédie qui a coûté la vie à des villageois innocents et endeuillé leurs familles, et cela la veille même de notre libération.
Le 8 septembre 1944, donc, nous étions dans l'attente d'être libérés incessamment. Les Américains de la 1ère armée (Hodges) n'étaient pas loin de Liège. Chacun se préparait à les accueillir avec des sentiments difficiles à faire comprendre aujourd'hui.
J'avais 16 ans. J'avais perdu mon père, deux ans plus tôt, fusillé par les Allemands au Fort de Breendonk. J'habitais alors rue Albert de t'Serclaes, à Andrimont.
Dans l'après-midi du 8 septembre, j'ai soudain vu monter plusieurs véhicules de l'armée allemande, par la rue de Verviers, en direction du village d'Andrimont. A bord de ces camions, des soldats armés, d'une allure menaçante. J'ai pensé, comme tout le monde, que c'était la fuite "nach Deutschland".
Ce n'est que le lendemain que l'on a appris la terrible nouvelle. Des fermes avaient été incendiées à la Neuville (Andrimont) et des gens y avaient été fusillés.
Sur les circonstances de cette tuerie, on ne savait rien. Et l'on n'a rien appris de précis dans la suite, si ce n'est le nombre et l'identité des victimes.
Qui étaient-elles ? Au cimetière d'Andrimont, où ces malheureux sont enterrés côte à côte, la tombe collective porte l'inscription suivante :
"Ici reposent les fusillés de Neuville"
Léon Bergmans - 42 ans / Jules Feller - 25 ans / Auguste Feller - 31 ans / Léonard Leruse - 58 ans / René Daenen - 45 ans / Armand Clémens - 30 ans
Mais cela ne nous apprend toujours pas ce qui s'est passé réellement.
Alors que bien des récits ont paru sur tel ou tel épisode tragique de la Résistance, que bien des commémorations patriotiques ont lieu et tant de discours sont prononcés, l' "Affaire de la Neuville" a toujours été passée sous silence.
Jacques Winants, dans son intéressant ouvrage "Verviers libéré" consacre un chapitre aux "Tragédies de la fin de l'occupation". Il s'étend longuement sur le drame (aux origines assez obscures) du Château de Sohan, à Pepinster. Mais il se borne à mentionner - page 23 - "A Andrimont, le 8 septembre, en représailles contre les coups de feu qui ont tué un Allemand et en ont blessé un autre, quatre fermes ont été incendiées et cinq hommes fusillés." Ce n'est pas cinq, mais six hommes qui y ont été fusillés.
Mais que s'est-il passé réellement ?
Ce n'est que bien des années plus tard que j'ai obtenu des détails par quelqu'un (je l'ai dit plus haut) qui semblait bien connaître l'affaire et qui aurait pu (ou dû) en faire une relation écrite. Mais qui ne l'a pas fait !
Voici ce que j'ai appris de lui.
Ce 8 septembre 1944, quelqu'un (ce qui pourrait être une femme) a découvert dans le chemin de Jean-Sans-Peur, qui descend du cimetière d'Andrimont vers le Ru de Bilstain, les corps de deux soldats allemands, dont l'un semblait encore en vie.
Affolée, elle serait remontée au village en racontant ce qu'elle venait de voir. L'information serait alors parvenue au commissariat de Police d'Andrimont, alors situé place Simon Gathoye.
Et c'est ici que l'invraisemblable s'est produit. Est-ce le commissaire lui-même ou un de ses agents qui, pris d'une panique honteuse et coupable, a cru devoir avertir la Kommandantur de Verviers de ce qui s'était passé à Andrimont ! Toujours est-il que la réaction allemande - prévisible - ne s'est pas fait attendre : c'est la colonne de véhicules que j'ai vue monter de Verviers vers le village.
La suite ? Les Allemands ont trouvé les deux corps (le blessé étant mort entre-temps) et ont constaté qu'il s'agissait de deux déserteurs, ce qui a été confirmé par des villageois à qui les deux hommes auraient réclamé de quoi manger.
A titre de représailles, les soldats ont pris en otages six hommes qui s'affairaient dans les parages et ils les ont fusillés devant le château d'eau, après quoi ils ont incendié les fermes.
L'officier allemand aurait déclaré qu'il ne faisait exécuter "que" six otages, car il était conscient que les deux soldats abattus étaient des déserteurs qui, d'ailleurs, auraient eux-mêmes été fusillés en tant que tels, si on les avait arrêtés.
Après ce drame, quelques réflexions s'imposent.
Tout d'abord, fallait-il que ces "soi-disant résistants" abattent deux déserteurs, désormais inoffensifs ?
Ensuite, cela étant malgré tout fait, ne pouvaient-ils pas dissimuler les corps ? Nous étions alors toujours occupés.
Mais le plus invraisemblable, c'est évidemment d'avoir avisé la Kommandantur, alors que les Américains étaient à nos portes !
Ceci dépasse l'entendement, quand on connaît la brutalité habituelle des réactions allemandes en pareils cas.
Bien entendu, personne n'a revendiqué, ni la mort des déserteurs, ni l'information transmise aux autorités allemandes. Une chape de silence s'est abattue sur cette affaire.
Par le plus grand des hasards, j'ai tout récemment appris, par le petit-fils d'un policier andrimontois de l'époque, que son grand-père aurait alors adressé un rapport sur cette affaire à la Province. Ce rapport n'a jamais été divulgué, même 50 ans plus tard.
Il a fallu à la commune d'Andrimont quelques dizaines d'années pour qu'une modeste stèle soit placée à l'endroit où les six malheureux ont été exécutés.
Une petite plaque de bronze, apposée sur un bloc de pierre, porte les simples mots : "A la mémoire des habitants de la Neuville, fusillés par les Allemands le 8 septembre 1944" suivis des six noms.
Voilà donc ce que je peux dire de cette lamentable tragédie.
D'autres auraient su en dire davantage. Ils ne l'ont pas fait.
Pierre Plunus, le 2 novembre 2005
Document de mai 2009
Document d'octobre 2011